La réprimande du policier ébranla Eddy, qui baissa à nouveau la tête, un peu honteux. Il avait toujours eu beaucoup de respect pour les représentants de l’ordre, et la remarque de l’homme ne pouvait être que pleine de sagesse à ses oreilles. Oui, il avait été trop impulsif, à la réflexion. Mais qu’aurait-il dû faire ? Laisser la jeune femme se faire agresser verbalement sans réagir ? Et si l’homme ne s’était pas limité à des mots ? Il l’avait bien frappé, lui.
 
D’ailleurs, les paroles du type ranimèrent la fougue du garçon qui releva le nez pour s’exclamer :
 
« C’est pas parce que vous êtes bien habillé que vous êtes au-dessus des règles de politesse ! Vous devriez montrer l’exemple au lieu de vous conduire comme un sale bonhomme prétentieux ! Et la police fait son travail, la preuve ! Et vous êtes bien content de la trouver, apparemment ! »
 
Qu’on remette en cause la police le mettait hors de lui. Il allait poursuivre ses invectives, mais l’ordre de l’homme en uniforme l’interrompit net. A nouveau penaud, il déposa sans hésiter son arme dans la main tendue. Il commençait sérieusement à remettre en cause son comportement. Si l’officier semblait lui reprocher quelque chose, c’était qu’il avait commis une erreur, qu’il avait mal agi. Et s’il voulait un jour devenir garde du corps de la Triade, il savait qu’il devait se montrer irréprochable. Il tenta d’expliquer au garde, tout en le suivant vers les véhicules :
 
« Je pensais que c’était pas juste… Je croyais qu’il fallait faire quelque chose… »
 
Il jeta un coup d’œil désolé à Blue, pour voir comment elle réagissait. L’attitude de la jeune femme le mortifia encore davantage. Il se rendait compte qu’à cause de lui, elle se retrouvait dans une situation compliquée alors qu’elle n’avait rien demandé. Retrouvant un peu plus d’énergie, il s’adressa à nouveau à l’homme en uniforme le plus proche, d’un ton suppliant :
 
« Elle n’a rien fait, laissez-la partir. C’est une grande mage guérisseuse, ils ont besoin d’elle à l’hôpital. Elle soigne des soldats vous savez. »

Eddy faillit répliquer aux paroles de l’homme, bouillant de rage, mais le policier le coupa dans son élan et il se laissa diriger vers le véhicule, se contentant d’un regard assassin au type. Une fois à l’intérieur, il tourna la tête vers Blue quand elle s’adressa à lui, et hocha la tête pour toute réponse. De toute façon, il n’avait pas l’intension de s’opposer aux forces de l’ordre, qui ne faisaient que leur travail.

Pendant le trajet, il ne pipa mot, regardant tantôt la jeune femme, tantôt le paysage des rues qui défilaient à vive allure par la vitre du vaisseau. . Il ignora délibérément le type assis de l’autre côté, à cause de qui ils en étaient là. Après un certain temps, le véhicule finit par ralentir, à l’approche d’une grille qui s’ouvrit pour le laisser passer. Il pénétra alors dans une petite cour entourée de hauts murs, face à un bâtiment de plusieurs étages aux doubles portes en verre. De chaque côté, deux hommes en uniforme semblaient monter la garde.

Le conducteur et son collègue installé à l’avant du petit vaisseau descendirent pour ouvrir la porte aux passagers, leur faisant signe de faire de même. Eddy s’exécuta tout en observant l’édifice. Il n’était encore jamais venu là. C’était donc ici que s’organisaient les forces de sécurité de la ville. C’était ici qu’on combattait le crime, qu’on interrogeait les suspects. De nouveau, l’excitation gagna le garçon. Il allait pénétrer de l’autre côté du décor, découvrir les coulisses de la lutte contre la délinquence. Du même coup, il oublia totalement la raison de sa présence.

On dirigea le trio vers l’intérieur du bâtiment. Dans un petit hall bien éclairé, il y avait un comptoir, derrière lequel un agent en faction était au téléphone. En face, plusieurs personnes étaient assises sur des chaises en plastique, semblant attendre leur tour. D’autres policiers allaient et venaient, débouchant d’un couloir où de l’une des multiples portes qui se succédaient le long des murs. L’un des deux agents qui accompagnaient le trio de civils fit signe à l’homme à la sacoche de le suivre dans un bureau, tandis que son collègue conduisait Blue et Eddy dans la pièce voisine. Celle-ci, plutôt petite, ne comportait rien d’autre que quelques chaises sur lesquelles l’officier fit signe de s’assoir, avant de se poster devant la porte qu’il venait de refermer, pour garder la femme et le garçon à l’œil. Eddy obéit une fois encore, un peu déçu de ne pas avoir pu examiner le hall plus en détail, mais n’osant rien dire.

Eddy n’était pas spécialement nerveux. Il était sûr que tout allait vite s’arranger, que leur agresseur allait se retrouver derrière les barreaux, ou du moins qu’il allait recevoir une sévère réprimande de la part du policier qui l’avait emmené. La seule chose qui inquiétait le garçon, en fait, c’était le contretemps que l’affaire constituait pour Blue. Peut-être que des soldats étaient en train de souffrir horriblement, dans l’attente de soins qu’elle aurait dû leur donner. Peut-être même que certains ne survivraient pas. Tout ça à cause de ce sale bonhomme, qui ne voulait rien entendre. Eddy aurait dû lui parler des soldats blessés qui attendaient, il aurait sûrement fini par entendre raison.

Eddy releva le nez en entendant Blue parler à leur gardien. Prévenir l’hôpital, c’était la moindre des choses. Il ne pensait pas un seul instant que le garde allait refuser d’accorder cette faveur à la jeune femme, et d’ailleurs, ce ne fut pas le cas. Il la suivit des yeux tandis qu’elle sortait de la petite salle d’attente, le policier laissant ensuite la porte ouverte pour pouvoir garder un œil sur elle sans quitter son poste auprès du garçon. Quelques minutes s’écoulèrent, puis une silhouette franchit à nouveau le seuil. Eddy s’attendait à voir Blue le rejoindre, mais il s’agissait en fait d’un autre homme en uniforme qui lui fit signe de se lever et de le suivre. Eddy hésita un court instant, la jeune femme n’allait pas le retrouver en revenant. Mais il obéit finalement, suivant l’homme dans le couloir, jusqu’à une autre porte qu’il franchit. Il se retrouva face à un large bureau, derrière lequel se tenait un officier en costume décoré d’un insigne. Le garçon fut tout d’abord impressionné. Un haut gradé, visiblement. C’était super ! Lui comprendrait forcément son histoire ! Sur l’ordre de l’officier, il s’assit face à lui. S’ensuivirent quelques questions sur son identité. Après quoi, pianotant sur un clavier d’ordinateur, l’homme déclara :

« Ta grande sœur va nous rejoindre dans quelques minutes. En attendant, tu vas me raconter ce qui s’est passé, le plus précisément possible. Essaie de ne rien oublier. »

A nouveau tout excité, Eddy raconta l’agression du type dans la rue, son comportement scandaleux envers Blue et lui-même. Emporté par son élan, il oublia complètement de rectifier l’erreur de l’inspecteur sur son lien avec la jeune femme. Celui-ci prenait des notes, fronçant parfois un sourcil, sans interrompre le flot ininterrompu des paroles de l’adolescent. Quand le récit fut terminé, il ouvrit la bouche pour poser une question, quand quelqu’un frappa à la porte du petit bureau.

Quand la porte s’ouvrit, Eddy se retourna pour voir entrer Blue, à qui il adressa un grand sourire, l’air de dire « tout va bien, j’ai tout arrangé ». Pour un peu, il aurait levé le pouce. De l’autre côté du bureau pourtant, le visage de l’inspecteur, parfaitement neutre, ne laissait rien paraître de tel. Quand Blue se fut installée, ce dernier lui demanda de raconter à son tour ce qui s’était passé. Durant le récit, le garçon resta muet, les yeux braqués sur elle, tandis que l’officier prenait à nouveau des notes, demandant quelques précisions de temps en temps. Lorsque Blue eut terminé, le policier resta silencieux un moment, relisant les quelques lignes écrites sous ses yeux, tout en semblant réfléchir. Finalement, il releva le nez et observa tour à tour ses deux interlocuteurs avant de soupirer.

« Bien, je pense que je vois à peu près comment les choses se sont passées. Nous allons attendre la déposition de l’homme à qui vous avez eu affaire, et nous aviserons ensuite. »

Il fit une pause, puis s’adressa plus précisément à Eddy qui se raidit.

« Tu sais mon garçon, seules certaines personnes ont le droit de porter une arme. Ces personnes sont formées, entraînées pour ne l’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité et faire le moins de dégâts possible. Le recours à une arme ne doit être que la dernière solution, et cela, toute personne autorisée à en porter une le sait parfaitement. Les armes sont très dangereuses pour ceux qui les portent, quand ils ne savent pas bien s’en servir. Elles peuvent causer des dégâts irréparables. C’est pour ça qu’on les contrôle de façon aussi stricte. Tu as eu de la chance, mais tu aurais pu blesser cette jeune femme, ou même te blesser toi-même. Dans tous les cas, tu vas peut-être avoir de graves ennuis pour ne pas avoir respecté les règles. »

Le garçon baissa le nez, comprenant que l’homme était en train de faire un portrait en creux de tout ce qu’il n’était pas, quelqu’un d’expérimenté, d’entraîné au maniement des armes, qui connaissait leurs risques. L’inspecteur reprit :

« Tu peux retourner dans la salle d’attente juste à côté. Je dois parler un moment avec ton amie. »

Eddy jeta un coup d’œil à Blue, puis se leva et quitta la salle. A l’extérieur, il retrouva le policier qui semblait attendre, et qui le ramena dans la petite salle voisine. Dans le bureau, l’inspecteur reporta son attention sur Blue.

« Bon. Dans les faits, il n’y a pas grand-chose à vous reprocher à tous les deux. Si ce que vous m’avez raconté est vrai, ce que nous saurons très bientôt, le pistolet que portait Eddy ne peut pas être considéré comme une arme interdite. Et il n’y a eu aucun dommage pour personne. »

Il fit une nouvelle pause, avant de reprendre :

« Cependant, l’homme à qui vous avez eu affaire est quelqu’un d’important en ville. Il a de nombreuses relations haut-placées. Croyez-moi, ce genre de type a horreur d’être pris en défaut en pleine rue. Si jamais il porte plainte, vous êtes partis tous les deux pour une longue procédure, Eddy en tant qu’auteur et vous comme complice, et ce ne sera pas une partie de plaisir. Mais nous allons essayer de le convaincre de ne pas le faire, et vous devriez ressortir d’ici libres comme l’air. »

Il s’arrêta encore quelques secondes, puis :

« J’imagine qu’il demandera des excuses, en guise de dédommagement. Je sais que vous n’y êtes pas pour grand-chose, mais cela devrait grandement aider cette affaire à finir aux oubliettes. »

Il se tut et observa Blue, dans l’attente d’une réaction.

L’inspecteur hocha la tête avec un sourire compréhensif.

« En effet, Eddy ne s’excusera pas tout seul. Il est encore jeune, il a l’air de vivre dans un monde avec des gentils et des méchants. Pour lui, l’homme que vous avez rencontré fait partie des méchants, et ne mérite aucune excuse. »

Il marqua un temps d’arrêt, et se pencha légèrement en avant par-dessus son bureau avant de reprendre avec douceur, le regard fixé sur le visage de la jeune femme :

« Mais vous, dans son monde, vous faites partie des gentils. Il m’a dit que vous étiez une mage guérisseuse, et je crois qu’il vous admire beaucoup. D’après ce que j’en ai ressenti quand il m’a parlé de vous, il a beaucoup de respect pour vous, à cause de votre métier. Je suis sûr que vous n’aurez pas tant de mal que ça à le convaincre de faire un effort. »

Il recula un peu sur son siège et tourna la tête sur le côté, observant distraitement une pile de dossiers.

« Si vraiment il veut devenir garde du corps, il va devoir apprendre à avoir une vision moins binaire du monde qui nous entoure. Dans notre métier, le sens de la nuance est une qualité indispensable. »

Il resta un court instant pensif, puis se leva et contourna le bureau pour ouvrir la porte à Blue.

« Bien, je compte sur vous pour le convaincre, faites de votre mieux. Pendant ce temps, je vais aller voir où en est mon collègue. Nous organiserons la confrontation ensuite. »

Et il quitta la pièce derrière la jeune femme, pour la raccompagner jusqu’à la salle voisine où Eddy attendait.

Pendant ce temps, dans la salle d’attente, Eddy patientait, assis sur l’une des chaises en plastique, sous la surveillance du policier en faction. Il se remettait sérieusement en question. Quelquepart, il était toujours persuadé que l’homme n’était pas dans son bon droit. Mais lui, Eddy, avait-il eu la bonne réaction ? Aurait-il dû laisser son arme rangée ? La phrase d’encouragement que Blue lui avait adressée lui avait un peu remonté le moral. C’était vrai après tout, qu’il était encore jeune et qu’il avait le temps d’apprendre. Mais tout de même, il se demandait comment aurait réagi un vrai garde du corps, à sa place. Il était perdu dans ces pensées quand la porte de la petite pièce s’ouvrit, lui faisant relever la tête.

En voyant entrer Blue, Eddy sauta sur ses pieds, et resta debout alors qu’elle s’asseyait près de lui. Il était content de la revoir, et impatient de savoir ce qu’il en était, aussi. En guise de réponse à la jeune mage, il s’écria :

« Oui oui tout va bien ! Alors, ce sale type va aller en prison ? C’est ça la meilleure chose à faire hein ? Et on va pouvoir aller à votre travail ! Et vous ne le recroiserez plus jamais ! »

Il avait l’air soudain aussi surexcité qu’un peu plus tôt. Il était persuadé que, si l’inspecteur avait gardé la jeune femme un peu plus longtemps, c’était pour lui donner le fin mot de l’histoire. Et bien sûr, l’officier ne voulait pas donner raison à Eddy devant celui-ci, à cause de l’arme sans doute. Mais tout était forcément clair maintenant qu’ils avaient pu s’expliquer, et le policier avait obligatoirement compris qui avait tort et qui avait raison.

« Quand est-ce qu’on va pouvoir partir ? Et vous croyez que je vais pouvoir récupérer mon pistolet ? »

Cette question le préoccupait beaucoup depuis quelques instants. Sans son pistolet, qui d’habitude ne le quittait jamais, il avait l’impression qu’il lui manquait quelque chose de très important, presque une partie de lui-même. Même s’il avait bien compris qu’il ne devait pas s’en servir n’importe quand, qu’il devait faire plus attention, il en avait besoin pour protéger les gens et pour combattre le crime. Et puis, sans son arme, comment pourrait-il s’entraîner au tir et devenir plus doué ? Il ne demandait qu’à s’améliorer, pour devenir garde du corps de la Triade. Déjà il regardait vers la porte, pressé de la voir s’ouvrir à nouveau pour laisser entrer un homme en uniforme qui lui rendrait son pistolet avant de les inviter à sortir d’ici.

Quand Blue lui demanda de l’écouter, le garçon se rassit, l’air un peu étonné. Comment ça, pas aussi simple ? Tout lui paraissait pourtant très simple à lui. Cependant, il écouta, ses sourcils se fronçant au fur et à mesure que la jeune femme parlait. Finalement, il explosa, se levant à nouveau brusquement.

« Mais c’est pas juste ! C’est pas parce qu’il est important qu’il peut faire ce qu’il veut ! Ce type est un affreux bonhomme qui pense qu’il a toujours raison parce qu’il a de l’argent ! Mais c’est pas vrai hein ? Il va quand même pas s’en sortir sans rien ? Les policiers vont pas laisser faire ça ? »

Eddy avait l’air totalement révolté. Il n’arrivait pas à croire que les gens qu’il admirait tant, qui faisaient régner l’ordre, la justice et la sécurité, puissent laisser passer une chose pareille. Il refusait l’idée que, dans le monde où il vivait, quelqu’un pouvait causer impunément des ennuis à des inocents, juste parce qu’il était une personne importante. Le jeune cyborg se calma un peu quand la mage lui rappela ses propres erreurs, et baissa le nez. Mais il le releva bien vite en entendant parler de s’excuser. Présenter ses excuses à cet homme ? Pas question ! Le visage rougissant sous l’effet de la révolte, le garçon ouvrit la bouche pour protester, mais il s’interrompit quand Blue parla des ennuis qu’ils pourraient avoir tous les deux. Avoir des ennuis, ça ne lui faisait rien à lui. Il avait l’habitude de se mettre dans des situations compliquées. Mais que la guérisseuse en ait aussi, ça il ne pouvait pas l’accepter. Non seulement elle n’avait rien fait pour mériter ça, mais en plus, on avait besoin d’elle à l’hôpital. Qu’allaient devenir les soldats blessés si elle ne pouvait plus les soigner ? Et puis, il lui avait dit qu’il la protégerait. Il devait faire en sorte qu’il ne lui arrive rien de mal. C’était le rôle d’un garde du corps.

Mais pour cela, apparemment, le seul moyen était de s’excuser devant ce type. En proie à une lutte interne féroce, Eddy restait là, raide, les poings et les dents serrés. Se soumettre à cet homme arrogant et sans scrupules, ou exposer Blue à des problèmes, cruel dilemme. Aucune de ces deux options n’étaient acceptables pour lui. Sans qu’il s’en rende compte, son pied cybernétique avait commencé à battre convulsivement le sol, à un rythme de plus en plus effreiné. Finalement, il ne parvint qu’à murmurer une fois encore, l’air sombre :

« C’est pas juste... »

Des policiers parfois incapables d’accomplir leur devoir. Ca, Eddy en était bien conscient. Mais pour lui, ces situations étaient rarissimes, et correspondaient à des cas très compliqués. Là, tout lui semblait très simple et très clair. Il y avait un agresseur et des victimes. Aucune difficulté à l’horizon. Le garçon répliqua d’un air buté :

« C’est pas dur comme affaire là, pas besoin d’enquêter pendant des mois pour comprendre ce qui s’est passé. Je suis sûr que les policiers en voient tous les jours, des cas comme ça. Pourquoi ils pourraient pas rétablir l’ordre ? »

Il réfléchit un moment, pesant les mots de Blue. S’excuser maintenant et pouvoir mieux lutter contre le crime plus tard ? Il ne voyait pas vraiment le rapport. En quoi se soumettre aujourd’hui à une injustice l’aiderait à en éviter d’autres demain ? Il regarda la jeune femme qui faisait visiblement tout son possible pour le convaincre de s’excuser. C’est vrai qu’elle jouait gros aussi dans cette histoire, et il ne voulait pas qu’elle ait d’ennuis. S’il ne s’excusait pas, ça pouvait lui retomber dessus, à elle. Et ça, il n’en était pas question. Quand elle lui demanda s’il voulait bien s’excuser, il hésita encore quelques instant, et finalement, fit d’une petite voix, en soupirant :

« Bon, d’accord. »

Il ajouta plus vivement :

« Mais je fais ça pour vous hein ! Si j’avais été tout seul, ça se serait pas passé comme ça ! »

Comme si le garde en faction n’attendait que ça, la porte de la salle d’attente s’ouvrit alors, et l’homme en uniforme annonça :

« La déposition est terminée, nous allons pouvoir passer à la confrontation. Suivez-moi je vous prie. »

Et il s’effaça pour laisser sortir Blue et Eddy. Ce dernier se dirigea vers la porte en traînant les pieds, avec la tête du condamné qui se rend au peloton d’exécution.

Eddy hocha la tête aux paroles de Blue dans le couloir. C’était vrai, ce ne serait l’affaire que de quelques instants, et ensuite ils pourraient partir. Mais pour le principe, ça le révoltait quand même. Devoir s’excuser pour rien, et en plus auprès d’un type qui avait bien plus à se reprocher qu’eux, ça l’énervait. Il arriva dans l’autre bureau, et son regard tomba immédiatement sur leur ennemi du moment, qui n’avait pas vraiment l’air coopératif. Il serra les poings et les dents en l’entendant proférer à nouveau des insultes, mais il parvint de justesse à ne rien dire, malgré la colère qui était à nouveau montée en flèche en lui. Le policier qui les avait accompagnés se retira en refermant la porte. Dans le bureau, outre l’officier qui avait interrogé l’homme, se trouvait aussi l’inspecteur qui avait enregistré le témoignage de Blue et du garçon. Celui-ci se râcla la gorge, et, sans relever les premières paroles de l’individu, déclara calmement :

« Bien. Nous allons procéder comme prévu. Mon garçon… ? »

Eddy se tendit encore un peu plus. Pendant quelques instants, il ne parvint pas à ouvrir la bouche, et un silence de plonb s’installa. Il jeta un coup d’œil à Blue, puis à l’inspecteur, et enfin, baissa les yeux avant de marmoner :

« J’m’excuse… »

C’était le maximum dont il était capable, il n’aurait pas pu faire mieux.

Avant que Blue ait eu le temps de trouver quoi faire, Eddy avait réagi, explosant littéralement. Il s’exclama à l’adresse de l’homme, hors de lui :

« Je m’suis excusé ! Vous êtes sourd en plus ? »

C’en était trop. Il avait déjà fait un gros effort, et voilà que l’homme se moquait de lui quand même. Les policiers devaient bien voir, maintenant, que c’était un sale type. L’inspecteur traversa le bureau à grands pas et posa une main sur l’épaule du garçon qui s’apprétait à poursuivre ses invectives. Eddy se calma un peu, très provisoirement. Le policier releva la tête et posa son regard neutre sur l’homme, avant de prononcer, toujours aussi calme :

« Allons, vous l’avez bien entendu. Il s’est excusé, comme vous l’aviez demandé. C’était votre condition, n’est-ce pas. »

La tension dans le bureau était palpable. L’autre agent, qui avait interrogé l’homme un peu plus tôt, se balançait d’un pied sur l’autre, les mains croisées dans le dos.

Les nouvelles paroles de l’homme firent redoubler la rage d’Eddy, si cela était encore possible. Le visage cramoisi, il s’apprétait à bondir vers l’individu, malgré la main du policier sur son épaule. Mais à ce moment, il fut devancé par Blue qui, contre toute attente, se précipita elle-même vers leur agresseur et lui envoya une giffle, avant de se mettre à le réprimander avec force. Une fois encore, la colère du garçon s’évanouit, chassée cette fois par un étonnement teinté d’admiration. Wouah, Blue était vraiment impressionnante quand elle se mettait en colère ! On voyait bien qu’elle avait l’habitude de travailler avec des soldats, elle ne se laissait pas faire ! Finalement, Eddy aurait dû se douter qu’elle était capable de ça, c’était logique après tout, pour une grande mage ! Et en plus, elle avait l’air d’être d’une famille importante ! Le nom ne disait rien au jeune cyborg, mais vu comme elle en parlait, ce devait être des gens très influants ! Et si ça se trouve, ils allaient pouvoir causer des ennuis à ce sale bonhomme, qui avait osé s’en prendre à l’une des leurs.


A présent, Eddy ne quittait plus la jeune femme du regard, des étoiles dans les yeux. Il ne remarqua pas qu’un silence de plomb s’était abattu sur le bureau, après le coup d’éclat de la soigneuse. Pour le moment, l’homme ne réagissait pas. Après quelques minutes de flottement, l’inspecteur qui se tenait auprès du garçon se râcla la gorge, et fit d’un ton toujours aussi calme, mais la voix légèrement rauque :

« Bon, nous allons éviter que ce petit incident devienne une affaire d’état. Je crois qu’il vaudrait mieux en rester là et oublier tout ça, qu’en pensez-vous ? Après tout, il n’y a eu aucune conséquence physique ni matérielle. Ca ne vaut pas la peine de perdre le temps de chacun ici… »

Il regardait intensément l’homme face à lui, espérant visiblement que sa proposition allait être acceptée.

Eddy ne quittait plus Blue des yeux depuis son intervention plutôt inattendue. Il fut étonné de voir qu’elle avait soudain l’air très géné. Que lui arrivait-il ? Pourquoi changeait-elle soudain d’attitude après un tel acte de courage ? Il ne comprenait pas bien. Il jeta un coup d’œil aux policiers qui ne semblaient pourtant pas en vouloir à la jeune femme. Puis il porta son attention sur le type qui se frottait la joue, l’air toujours plus mécontent. C’était bien fait pour lui, il n’avait que ce qu’il méritait. Et voilà qu’il se remettait à les prendre de haut. Un nouvel élan de colère s’empara du garçon, et, avant que quiconque ait pu l’en empêcher, il lança d’un ton féroce à l’homme qui passait à côté de lui pour sortir du bureau :

« Ouais, les rues sont pas sûres, ya des sales bonhommes pleins de fric qui se croient tout permis et qui bousculent les gens ! »

Une fois encore, la main de l’inspecteur sur son épaule le fit taire, et il se contenta de suivre le type d’un regard noir jusqu’à le perdre de vue. Dès que l’homme eut quitté son champ de vision, il retrouva un certain calme et tourna la tête vers Blue qui s’excusait auprès des policiers. Il fronça les sourcils et ouvrit la bouche pour protester, mais l’officier le devança et répondit avec un sourire apaisant :

« Ne vous en faites pas, nous avons l’habitude de ce genre de situation. Quant à vous, il me semble que vos collègues vous attendent, n’est-ce pas ? »

Puis il baissa les yeux sur Eddy, et reprit d’un ton plus grave :

« Et toi jeune homme, garde bien en tête ce que je t’ai expliqué tout à l’heure sur le port d’arme et les qualités pour devenir un bon garde du corps. »

Eddy hocha la tête et baissa les yeux. Le policier sortit du bureau et leur indiqua la sortie du bâtiment, tout en les informant qu’Eddy pourrait récupérer son pistolet au guichet d’accueil. Le garçon semblait un peu troublé, ne sachant pas bien quoi penser de cette mésaventure. D’un côté, il prenait conscience que son attitude n’avait peut-être pas été la bonne, mais d’un autre, le sentiment d’injustice continuait à le tourmenter. C’est donc plongé dans ses pensées qu’il ressortit du commissariat avec Blue, son arme à nouveau dans sa ceinture.